Je ne suis pas un grand adepte des "vieilles séries". Certains classiques sont inévitables, et la plupart de ceux qu'il m'a été donné de voir sont assez, voir très appréciables (Le Prisonnier, X-Files, Friends...). Cependant j'appréhende tout ce qui remonte au siècle précédent. Est-ce le format d'image, les histoires en elles-même, les effets spéciaux...? Je l'ignore. En tous les cas, j'avais de gros à prioris avant de démarrer Profit. Une série culte pour de nombreux sériephiles, en à peine huit épisodes (dont un double épisode pilote), supprimée de l'antenne par la FOX à mi-chemin. Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre. J'ai donc commencé le pilote, curieux mais anxieux, tentant de comprendre ce qui avait fait de cette si courte série, méconnue du grand public, un mythe chez de nombreux critiques... Avant de poursuivre, je vous propose de découvrir le pitch de la série (source : Wikipédia).

Jim Profit est un employé nouvellement promu de Gracen & Gracen (G&G), une entreprise multinationale dont certains des principaux dirigeants n'ont que peu d'éthique dans leurs activités professionnelles. Cela ne désole pas Profit, qui emploie des méthodes encore plus extrêmes (chantage, corruption, extorsion…) pour réaliser ses ambitions. Sur son chemin, il doit faire face notamment à Joanne Meltzer, la responsable de la sécurité interne, qui fera tout pour le démasquer ainsi qu'à certains autres employés méfiants dont Jim Profit convoite le poste.

Après visionnage des huit épisodes, je tiens à clarifier les choses. Cette série n'est pas un mythe. Elle est bien plus que cela. J'ai pu, tout au long de ses quelques épisodes, retrouver tant de points communs avec des séries qui la suivirent que j'en ai compris la vraie nature : c'est une précurseuse. Elle est, si ce n'est l'initiatrice, le signe avant-coureur de ce qu'on appelle l'âge d'or des séries (même si certains le remettent en cause), soit la décennie écoulée. C'est tellement osé pour l'époque (d'autant qu'elle était diffusée sur une grande chaîne !) qu'on lui pardonnerait presque son générique kitsch et son informatique dépassé (l'époque voulait ça). Relations incestueuses et homosexuelles, nudité (cachée mais tout de même très osée pour l'époque), personnages faillibles... Non, nous ne sommes pas dans Game of Thrones, mais bien dans Profit. En 1996. Et oui. Cependant il serait très réducteur de résumer cette oeuvre ainsi, tant elle constitue une réflexion pertinante (impertinante pour la société puritaine américaine) et intelligente sur une société capitaliste et hypocrite, où tout est permis pour s'enrichir.

En effet, la série se penche sur Jim Profit, un psychopathe manipulateur prêt à tout pour arriver à ses fins, incapable de ressentir la moindre compassion pour ses victimes. (Premier ?) anti-héros de la télévision américiane, ce personnage nous terrifie et nous fascine, tant il est difficile de déceler ses réelles intentions, tant il est compliqué de le comprendre, lui qui semble ne jamais rien ressentir. Nous détaillant avec cynisme ses plans en voix-off à la manière d'un Frank Underwood, il captive et séduit ses interlocuteurs de par son charme et son charisme naturel, comme l'eut fait Don Drapper. Jim Profit semble en effet être un mélange parfait des personnages principaux de House of Cards et Mad Men, qui lui doivent sans doute quelque chose (peut-être même beaucoup). Sa voix suave et son ton trop aimable pour être honnête font de lui l'un des anti-héros les plus captivants qu'il m'ait été donné de voir. Complexe, faillible malgré ses nombreux talents, il nous est difficile de savoir quoi ressentir à son égard, tant il peut se montrer froid et calculateur. On se surprend tout de même à l'aimer, à souhaiter ses plans machiavéliques réussir, et on regrette de devoir le quitter sur une fin ouverte, laissant entrevoir tant d'issues qu'on en vient à souhaiter qu'une chaîne intelligente (du câble, si possible) accepte d'en faire un remake.

Ce personnage n'est, qui plus est, pas la seule attraction de cette série. Acteurs relativement bons, musiques d'ambiance captivantes (parfois proches de celles de Mad Men) si l'on excepte l'odieux générique, rebondissements en pagaille, références culturelles exigentes (dont celles à Shakespeare, récurentes)... La série n'a pas grand chose à envier à celles d'aujourd'hui - à vrai dire ce sont même les séries de networks d'aujourd'hui qui devraient la jalouser. On s'étonne parfois de retrouver tant de modernité dans les relations entre personnages, à mille lieux des clichés persistant encore de nos jours à la télévision. La réalisation se montre également souvent sublime, notamment lors des monologues de Profit dans son appartement, où les ombres des poissons de l'aquarium viennent danser sur son corps (nu, oui, cette série est audacieuse !). Pas besoin d'apprécier le torse d'Adrian Pasdar cependant pour être captivé (non, je ne parle pas de la plastique irréprochable d'Allison Hossack) : ce carton dans lequel se réfugie Profit, nu (encore...), en position foetale, plongé dans le noir - et sur lequel se termine la plupart des épisodes n'est pas sans rappeler la cage en verre d'Oz, dans laquelle, tout comme Profit, Augustus Hill terminait son monologue, cloturant ainsi la réflexion de l'épisode. Une nouvelle fois, on réalise combien la série fut importante, influençant probablement le tout premier drame de la chaîne cablée HBO, diffusé un peu plus d'un an après la fin brutale de Profit. De la même manière, comment ne pas imaginer que James Manos se soit inspiré de Jim Profit lors de la création du personnage de Dexter Morgan ? Ainsi, la série résonne bien au-delà de sa courte et unique saison, à travers les chefs-d'oeuvre, ou du moins les séries marquantes (Dexter ayant bien trop duré pour être un mythe) de ces vingt dernières années, car il est probable que plusieurs scénaristes, notamment du câble, s'en soient inspirés.

Profit n'est pas uniquement une série ayant inspiré (instigué ?) les mythes que nous chérissons aujourd'hui. C'est un mythe à part entière. Elle n'est certainement pas parfaite, elle abuse peut-être un peu trop de son côté procedural et noircit probablement trop le tableau pour atteindre la subtilité des chef-d'oeuvres actuels, cependant n'en demandons pas trop à une série qui n'en avait aucune autre pour modèle. Disons simplement qu'elle a posé les fondations des drames d'aujourd'hui, leur permettant de se développer là où elle avait trop d'avance et prenait trop de risques pour réussir. Encore appréciable aujourd'hui, et pas seulement en tant que passioné découvrant le modèle de ses séries préférées, il faut s'imaginer le choc qu'elle représenta à l'époque, il y a presque vingt ans, pour des futurs sériephiles dévorant de nos jours Mad Men ou Breaking Bad. Déchaînant la haîne de téléspectateurs coincés, acclamée par la critique, cette oeuvre a du, durant sa courte existence, déclencher bien moins de passions pour les séries que ne le firent X-Files ou Urgences, mais qu'importe. Aujourd'hui encore, il n'est pas trop tard pour la découvrir et l'apprécier, avant que, peut-être, une chaîne ait la bonne ou la mauvaise idée d'en faire un remake.

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Profit - Critique intégrale